Objets de puériculture connectés, quels impact sur le développement de l’enfant et la relation parents-enfants ?

Objets de puériculture connectés, quels impact sur le développement de l’enfant et la relation parents-enfants ?
Article rédigé par Audrey Isnard, psychologue clinicienne et juriste

Appareils de vidéosurveillances permettant d’entendre ou de parler à son bébé à distance, couches connectées indiquant le moment où la changer, pour certaines allant jusqu’à dépister une pathologie via un test urinaire, capteurs de respiration, oreillers à mémoires de forme… la liste est longue des objets de puériculture intégrant des aspects technologiques.

 Quels en sont alors les intérêts et les risques ?

Sans pouvoir reprendre unes à unes ces innovations hi-tech, abordons plutôt les questions à se poser pour orienter notre choix en tant que parent consommateur : Que vont-elles apporter à l’enfant ? Au parent ? A quel prix psychique ?

 

En effet, il semble pratique et rassurant de pouvoir contrôler à tout moment et à distance la santé de son bébé (respiration, rythme cardiaque, maladies…). Mais n’est-ce pas au contraire anxiogène au risque de le consulter constamment ? N’est-ce pas également intrusif pour ce petit être que l’on représente alors en chiffres, engraphiques, dont on contrôle la moindre données médicale ?   Aimeriez-vous que l’on accède en direct et à
distance à ce qui se passe dans votre organisme, votre corps ?

Objets connectés, déconnection de la relation à l’enfant ?

Plus encore, n’y a-t-il pas un risque, de se « déconnecter » de la réalité et de la relation à l’enfant, en étant si « connecté », par la technologie, à l’organisme, au corps comme objet ? Ne risque-t-on pas de prêter davantage attention aux données numériques qu’aux manifestations du tout petit : pleurs, grimaces, mouvements, regards…. Et ainsi de se fier davantage à ces données « objectives » qu’à nos propres ressentis ? Alors que bien des parents pourront au contraire témoigner d’avoir « pressenti » ou  « ressenti » la maladie ou la difficulté de leur enfant avant que celle-ci ne soit diagnostiquée par le corps médical. Ne risque-ton pas d’anticiper tous les besoins de bébé avant même que celui-ci ne les exprime ? 

Selon l’approche psychanalytique, apparait comme une étape primordiale dans la construction psychique du nourrisson, le moment où le parent interprète les manifestations du nourrisson, son cri, lui permettant alors progressivement d’intégrer les réponses comme étant la conséquence de ses agissements et ainsi de pouvoir plus tard formuler des « demandes ». C’est par la réponse que l’on apporte au tout petit que celui-ci va mettre du sens sur ses propres ressentis : douleur, faim, besoin d’affection…. Eprouvant le soulagement de ses vécus corporels par les réponses de ses parents, il peut progressivement les mettre en lien et intégrer leurs significations. C’est ainsi que nous sommes capables d’identifier selon notre douleur dans le ventre, s’il s’agit de faim, de stress, de besoin d’aller aux toilettes ou d’une douleur inconnue pouvant être associée à un trouble (maladie, blessure…). Ne risque-t-on pas ainsi de priver le nourrisson de cette capacité, en anticipant tous ses besoins avant qu’il ne les exprime, impactant son développement psychique et physique, le maintenant dans une dépendance à l’adulte au lieu de développer son autonomie ?

 

Quelle compréhension par le bébé ?

Concernant les objets permettant au bébé de voir ou entendre ses parents à distance ; Interrogeons-nous sur la compréhension par le bébé confronté à des voix déformées, sans pouvoir les associer à la présence physique du parent ? Le bébé découvre son environnement par ses sens ; l’ouïe, la vue, le touché, l’odorat… Comment se construit-il alors lorsqu’il vit une expérience où tous ses sens ne peuvent être stimulés concomitamment ? 

De plus, lors des premiers mois de sa vie, il n’a pas encore acquit « la permanence de l’objet » comme théorisé par Jean PIAGET, psychologue du développement, et lorsque ses parents sont absents, ils sont pour lui comme disparus. Quel effet peut alors produire sur lui la perception d’une partie de ses parents séparée des autres : comme entendre sa voix, sans le voir ou le toucher, sans sentir sa présence physique dans la pièce ? 

Certes, l’odeur du parent, même en son absence, produit un effet sécurisant pour l’enfant. Mais peut-on « découper » artificiellement le parent en fonction des sens qu’il éveille chez l’enfant : odeur sur doudou, image à la caméra, son au micro… ? Sans oublier que le stimuli (odeur ou voix) est nécessairement différent de celui initial : odeur du parent mélangée à celle du doudou et de l’enfant qui permettent peut-être de rassurer tout en étant autre, d’où le doudou comme objet de transition entre la présence et l’absence. Concernant la voix, déformée par la technologie, il est bien moins évident l’associer à celle qu’il connait de son parent. L’image plus encore, n’ayant pas les mêmes proportions, couleurs, etc….

BÉBÉ et acquisition de langage

 

Enfin, l’enfant se construit par les interactions avec l’adulte et acquiert notamment le langage par la perception à la fois visuelle des lèvres en mouvement et auditives du son des paroles prononcées. Face à l’image numérique, il y a nécessairement un décalage même minime, qui ne permet pas d’associer correctement l’audition et la vue. 

Parent impliqué ou intrusif ?

Enfin, quel effet peut avoir sur la construction de l’enfant, l’accès de ses parents à toutes ses données organiques, physiques, à l’observer à tout moment ? L’apparente sécurisation n’ouvre-t-elle pas la porte à des dérives dangereuses ? Jusqu’à quel âge peut-on s’autoriser ces pratiques en estimant qu’elles le sont dans l’intérêt de l’enfant et qu’elles ne portent pas atteinte à son intimité et sa dignité ?

Certaines œuvres de science-fiction permettent d’illustrer et d’interroger les effets de ces objets connectés sur la construction de l’enfant. Ainsi, l’épisode 2 de la saison 4, de la série Black Mirror, intitulé « Arkange » (alerte spoiler !) nous plonge dans l’ambivalence de la relation mère-fille au travers de la possibilité pour la première d’accéder via à une tablette numérique à la géolocalisation, aux constantes (cardiaques, sanguines…) ou encore au « flux optique » de la seconde  ; La mère peut encore « appliquer le contrôle parental » permettant « d’estomper » ce qui « augmenterait le taux de cortisol », soit le stress de la fillette. Ainsi l’enfant, ne perçoit plus que des scènes cryptées lorsque ses camarades s’insultent ou se bousculent, qu’un chien aboie férocement ou lorsque son grand-père fait une crise cardiaque en sa présence. La fillette ne peut alors faire face à ces situations, ni percevoir ou comprendre ce qui se passe et de fait se trouve dans l’impossibilité de réagir de manière adaptée. Paradoxalement, l’accès de la mère aux constantes et au « flux optique » de sa fille, lui permet de faire appel au secours lors de la crise cardiaque du grand-père.

L’épisode nous place tantôt du côté de la mère inquiète, qui souhaite géolocaliser sa fille après qu’elle ait disparu du parc ou lorsque celle-ci devenue adolescente ne lui répond pas au téléphone tard dans la nuit ; tantôt du côté de la jeune fille démunie et manifestant peu d’émotions au quotidien, rejetée de ses camarades, traitée de « cyborg », tentant d’expérimenter certaines transgressions et conduites à risques, vivant comme intrusive l’omnipotence maternelle. 

Alors que la mère accepte de ne plus utiliser la « console parentale », à la suite des conseils d’un psychologue, elle y revient dès qu’elle est angoissée. Elle assiste alors à la première relation sexuelle de l’adolescente via le « flux optique » et découvre la grossesse de sa fille grâce aux données médicales analysées par l’implant. La mère fait alors ingérer à son insu une pilule abortive à sa fille. Lorsqu’elle le découvre, dans un accès de rage, l’adolescente arrache des mains de sa mère la tablette, et l’utilisant comme arme, la frappe au visage à de multiples reprises, puis quitte le domicile familial en la laissant pour morte. Lorsque la mère reprend connaissance, elle tente de retrouver sa fille à l’aide de la tablette ainsi brisée et inutilisable. 

L’épisode nous confronte alors à l’angoisse maternelle ; à l’origine du recours à la tablette, mais aussi conséquence de son utilisation, la mère devenant de plus en plus addict à l’objet et intrusive dans la vie de sa fille, ainsi qu’aux effets de cette angoisse sur l’enfant d’abord surprotégée au point d’être privée de l’accès à une partie de la réalité, puis en période adolescente expérimentant des conduites à risque. Alors que la jeune fille semble retrouver un certain équilibre sur la courte période où sa mère s’est engagée à ne plus utiliser la console, elle bascule totalement en découvrant la manipulation de celle-ci à son égard.

Bien que fiction, ce scenario permet d’interroger les pratiques numériques parentale à la fois sous l’angle maternel et au travers de celui-ci de l’enfant qui devient adolescent. Si l’accès au « flux optique » semble peut-être exagéré à ce jour, les autres options (géolocalisation et accès aux constantes) sont d’ores-et-déjà possibles via ces nouveaux objets-connectés. A nous alors, de les envisager sous l’angle à la fois parental mais aussi dans l’intérêt de l’enfant et de sa construction psychique. Tous ne sont pas à bannir, au contraire, s’ils constituent une aide, bien pensée et réfléchie et non un moyen de se substituer aux interactions parents-enfant. 

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Author: eparents