Des objets qui ne sont pas de simples jouets
De nombreux parents d’enfants de moins de trois ans perçoivent les écrans comme une source de risques plus que d’opportunités.
Selon la psychothérapeute et auteure Isabelle Filliozat, le corps joue un rôle fondamental dans l’apprentissage. Un enfant en bas âge doit pouvoir bouger, grimper, sauter et courir pendant plusieurs heures par jour. L’immobilité imposée par l’usage des écrans limite ces apprentissages essentiels.
Contrairement aux jouets classiques que l’enfant finit par délaisser lorsqu’il s’en lasse, les écrans sont conçus pour capter l’attention et provoquer une forme d’addiction. L’intensité des stimuli visuels et sonores active le noyau accumbens, une zone du cerveau impliquée dans le circuit de la récompense et du plaisir, favorisant ainsi un attachement excessif. Chez le jeune enfant, dont le cerveau est encore en pleine maturation, cette exposition peut engendrer une fascination excessive et rendre les interruptions difficiles, souvent accompagnées de crises émotionnelles intenses.
L’influence des parents et la technoférence

Une étude menée en collaboration avec le psychiatre et addictologue Laurent Karila indique que 20 % des parents utilisent un écran pendant les repas en famille, et 22 % consultent leur téléphone toutes les dix minutes. Cela montre à quel point les adultes sont également touchés par cette dépendance numérique.
Les recherches publiées dans la revue Contraste soulignent que l’exposition des parents aux écrans impacte directement leurs enfants. Ce phénomène, appelé technoférence, désigne l’interruption fréquente des interactions parent-enfant en raison de l’usage des écrans. Cette distraction diminue la qualité des échanges et affecte le développement émotionnel et social du bébé. Plus les moments de connexion avec l’enfant sont interrompus, plus ses besoins fondamentaux risquent d’être négligés, ce qui peut même impacter le bien-être des parents en générant de la frustration et des signes de dépression.
Face à cette réalité, de nombreux professionnels de santé préconisent d’aborder la question de l’usage des écrans dès la grossesse afin d’adopter des habitudes saines le plus tôt possible.
Les premiers mois de vie : une période cruciale

Emmanuel Devouche, enseignant-chercheur à l’université Paris-Descartes, met en avant plusieurs caractéristiques des écrans qui les rendent inadaptés aux tout-petits. Contrairement aux objets réels que l’enfant peut saisir et manipuler, l’image numérique bouge de manière autonome, ne répond pas à ses interactions et ne permet pas une véritable exploration sensorielle.
Le Collectif Surexposition aux écrans s’appuie sur des recherches menées aux États-Unis pour démontrer que, jusqu’à environ deux ans et demi, les apprentissages issus des écrans sont limités par un déficit de transfert. Concrètement, ce qu’un enfant voit sur un écran ne se transpose pas aisément dans la réalité. Par exemple, lorsqu’un jouet est caché sous les yeux d’un enfant, ceux qui ont assisté à la scène à travers une fenêtre le retrouvent plus facilement que ceux qui l’ont vue sur un écran.
Une socialisation affectée par les écrans
En moyenne, un foyer possède plus de six appareils numériques. L’exposition croissante aux écrans durant l’enfance peut cependant entraver le développement des interactions sociales.
La Société canadienne de pédiatrie met en garde contre les effets négatifs d’un usage excessif des écrans sur les compétences sociales. Une exposition prolongée pourrait même générer des comportements ressemblant à ceux observés dans certains troubles du spectre autistique. Sans aller jusque-là, une forte consommation d’écrans est corrélée à une moindre capacité d’autorégulation émotionnelle et à des difficultés de gestion du stress.
Les travaux publiés dans Contraste indiquent qu’une surexposition télévisuelle pendant la petite enfance peut avoir des répercussions des années plus tard, augmentant le risque d’isolement social et de rejet autour de l’âge de 10 ans. Une autre étude souligne qu’entre 2 et 5 ans, un usage intensif des écrans pourrait nuire à l’autonomie et à la persévérance dans l’apprentissage scolaire.
Impacts sur la posture et la motricité
Le psychomotricien Laurent Bonnotte observe que lorsqu’un jeune enfant est absorbé par un écran, sa posture se modifie : ses épaules sont tendues tandis que son tonus abdominal et lombaire s’affaiblit. Cette posture avachie contraste avec la tonicité dont il fait preuve dès qu’il se remet en mouvement après une session d’écran.
En dehors des écrans, les expériences physiques permettent de développer un large éventail de mouvements et de sensations corporelles. Bien que les jeunes enfants puissent paraître habiles sur un écran tactile, cette dextérité reste limitée comparée aux compétences motrices impliquées dans l’écriture ou d’autres activités nécessitant une coordination fine et variée.

Passage au CP : apprendre à gérer les écrans
Les enfants du primaire passent en moyenne 1h45 par jour devant la télévision et 1h sur les consoles de jeux.
Face à cette augmentation du temps d’écran, l’OMS souligne l’importance d’accompagner les parents avec des conseils concrets. La psychologue Sabine Duflo propose la méthode des 4 PAS :
PAS d’écran le matin pour préserver l’attention scolaire.
PAS d’écran pendant les repas pour favoriser le dialogue.
PAS d’écran avant le coucher pour un sommeil de qualité.
PAS d’écran dans la chambre pour encadrer les contenus visionnés.
Ces règles facilitent le développement du langage, de l’imagination et de l’autonomie des enfants.
De la primaire à la préadolescence : risques et préventions
Avec l’âge, Internet prend une place prédominante : les 7-12 ans y passent en moyenne 9 heures par semaine. Bien que l’addiction neurochimique aux écrans ne soit pas avérée, l’usage excessif du numérique pose un véritable enjeu de santé publique. La MILDECA met en garde contre les effets négatifs sur la condition physique et la santé mentale.
Par ailleurs, les enfants exposés à Internet sont susceptibles de rencontrer des formes de cyberviolence, telles que moqueries, harcèlement ou contenus inappropriés. D’où l’importance de sensibiliser et d’accompagner dès le plus jeune âge.
